Audrey
Être femme, c’est aussi réaliser ce qu’on s’impose par convention sociale.
Chez moi, je ne porte pas de soutien-gorge. Après une journée de boulot, les seins étouffés par les armatures, les épaules gênées par les bretelles, et le dos irrité par la fermeture, je ne rêve que d’une chose, rentrer chez moi et me libérer.
Et pourtant, je n’avais jamais vraiment réfléchi au fait que je pouvais m’en passer.
Alors oui, j’ai de très beaux soutien-gorge que j’aime porter, comme un beau bijou qui me mettrait en valeur. Mais la plupart du temps, ils me chatouillent, ils me grattouillent, ils me serrent, me grattent, me brûlent. Et pourtant, je me force et je me l’impose. Et on en parle de ce mot affreux “soutien-gorge”, la gorge étant un euphémisme pour désigner les seins. Ainsi, même le mot lui-même a pour objectif de cacher la même chose que l’objet.
Il n’a jamais été prouvé scientifiquement que les soutien-gorge avec une quelconque efficacité sur le maintien de la poitrine. C’est le poids de celle-ci et la qualité de la peau qui sont responsables du relâchement que l’on observe avec les années. Au contraire : la poitrine est naturellement soutenue par des ligaments qui se distendent s’ils ne sont pas sollicités, ce qui est le cas avec les soutien-gorge. D’ailleurs, une étude en 2013 du professeur Rouillon sur 330 jeunes sportives a démontré les bénéfices esthétiques de l’absence de soutien-gorge : les seins se raffermissent, et les mamelons remontent en moyenne de 7 mm en un an : sans soutien-gorge, la poitrine s’embellit et gagne en fermeté.
Et avec cette idée, il y aurait celle qu’il existe un sein type ? des critères de beauté pour les poitrines ? Alors que comme les individus, aucune poitrine n’est identique et elles sont pourtant toutes belles qu’elles que soient leurs formes, ou leur taille, au même titre que toutes les autres parties d’un corps.
Je comprends le discours bienveillant de certains hommes qui pensent nous protéger des individus malintentionnés. Mais au mieux c’est maladroit et au pire votre avis sur mes seins sans que je ne vous le demande, ce n’est pas flatteur, c’est intrusif et parfois offensant. Je me dis même qu’on ne devrait pas pouvoir donner son avis quand on n’est pas concerné. Par exemple, je n’ai pas de pénis, je n’ai donc pas d’avis sur le fait de porter plutôt un slip, un caleçon ou rien du tout.
Quand je libère mes seins du soutien-gorge, je ne les présente pas aux regards des autres. Je ne suis ni impudique ni aguicheuse. On ne devrait pas s’autoriser à formuler un avis sur le corps, ou n’importe quel choix personnel d’une femme ou d’un homme sans y avoir été invité. Un regard peut être aussi déplacé qu’un mot ou un geste. Je pense que certaines remarques ont aussi pour but de soustraire à la vue un pan de notre sexualité que vous vous laissez le choix d’investir. Cela vous appartient, et ne devrait rien à voir avec le fait de nous cacher ou pas.
« Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées »
Molière, je ne suis pas responsable de tes pensées. Effectivement, on peut imaginer le pouvoir des seins de la femme sur l’homme, la puissance de ces attributs qui arrivent à ôter tout discernement à la moitié de l’humanité. Mais nous ne pouvons prendre cette responsabilité.
Toi l’homme qui me veut du bien, je te remercie. Mais ne me dit pas que j’ai un problème ou que mettre un soutien-gorge serait une solution. Rappelle-toi que j’ai le droit de m’habiller comme je l’entends, comme c’est confortable pour moi ou comme j’aime pour me sentir bien et belle dans ma peau. Le problème ce n’est pas moi, mon corps, mes courbes, mes choix vestimentaires. Le problème se pose dans le regard de l’autre. Que certains hommes s’autorisent à franchir des limites que la société ne leur impose pas. Et que ça ne devrait pas être comme ça, mais que je ne suis pas obligée de me taire et d’accepter. Qu’on peut en parler, et s’entendre.
Évoluer seins libres, ne devrait pas être un acte politique. Ni même être un sujet de débat. Je ne cherche pas à confronter, ou dénoncer, je veux me réapproprier mon corps que j’ai souvent contenu et contraint par convention, par acceptation de l’inacceptable.
L’utilité première de l’objet est davantage sociétale, en prise aux injonctions patriarcales, que sanitaire. Et il est nécessaire de remettre en cause la façon dont il nous est quasi systématiquement imposé. Nous pouvons les porter, les montrer, les brûler, les oublier, tant que c’est une question de choix.
Laissez mes seins tranquilles
Laissez-moi choisir