Daniela
par Daniela Patrícia
Qu’est-ce que ça veut dire “d’être femme” ?
Tout a commencé par un désir d’avoir des enfants et du sang qui coulait chaque mois sans faute, emportant avec lui l’espoir de combler ce désir. Je ne comprenais pas, j’avais pourtant toujours réussi mes projets : des bonnes notes a l’école, des études supérieurs dans une bonne université, que j’ai terminé avec une très bonne note, tomber amoureuse, un beau mariage, l’ouverture de mon centre de langues, trouver ma voie et ce qui me passionne dans la vie, des courses de montagne. Cette incapacité à tomber enceinte me laissa submergée dans un sentiment d’échec que je ne connaissais pas et que j’avais du mal à dépasser.
Et puis un jour une fascia thérapeute me demanda ce que ça voulait dire pour moi d’être femme. Je n’ai pas su quoi répondre, malgré m’être souvent considérée comme féministe. Une féministe qui ne sait pas ce que signifie d’être une femme ? « Un être humain avec des seins et un vagin » avait été ma réponse immédiate, mais quelque chose de très profond en moi était sûr, à partir de ce moment, que la différence entre les hommes et les femmes ne pouvait pas être réduite à des caractéristiques physiques. Je ne l’ai pas tout de suite accueilli ce ressenti car ça me demandait de déconstruire mon identité de féministe. Je suis angolaise et les premières douze années de ma vie j’ai baigné dans une culture ou, en effet, les femmes et les hommes n’étaient pas égaux : mes souvenirs d’enfance m’amènent, par exemple, aux événements familiaux où les femmes passaient leur journée dans la cuisine et les hommes buvaient et se faisaient servir à manger.
Mais mon adolescence à Londres et une mère guerrière m’ont ouvert les yeux et l’esprit, je suis devenue femme indépendante et forte, capable de tout faire comme un homme, persuadée qu’hommes et femmes sont égaux, point. J’ai construit mon identité féministe de la même façon que j’ai construit mon identité noire : avec un sentiment que l’histoire ne nous avait pas fait de faveurs et qu’il fallait me battre pour avoir le droit à une existence digne. Une femme noire qui voulait réussir dans un monde d’hommes blancs, je me suis ravitaillé de mon carburant identitaire, la colère, lors des manifestations de mon université majoritairement gauchiste et dans la littérature des révoltés. Comment aller contre ça et accepter, à 29 ans, d’enlever ce point et d’y mettre une virgule, d’y ajouter un ‘mais’ ?
Ce questionnement, devenu quête de connaissance de soi sans que je me rende compte, m’amena à faire une formation conçue et animée par Miranda Gray sur la nature cyclique de la femme et l’interaction entre notre cycle menstruel et notre créativité, sexualité, spiritualité, énergie physique, humeur et plusieurs autres aspects. Elle nous expliqua les quatre phases de notre cycle : préovulatoire, ovulatoire, prémenstruelle et menstruelle. J’ai compris que je n’étais pas une femme, mais que j’incarnais plusieurs archétypes féminins : la jeune fille, la mère, l’enchanteresse, la sorcière et d’autres encore. Que chacun de ces archétypes demandaient à être écouté, respecté, aimé et exprimé pour que je me sente moins épuisée de tant d’efforts employés à vouloir être toujours pareille. J’ai ressenti une grande colère de ne pas l’avoir su avant – la société, l’école, la famille et les films Disney m’avaient appris que je devais être ou bien gentille, aimable et nourricière comme une mère, ou bien forte, combattante, pleine d’énergie comme une jeune fille, ou bien, ou bien. Personne ne m’avait expliqué que ma nature de femme, ma nature cyclique, me permettait d’incarner tous ces aspects. Que cette nature cyclique, lunaire et non lunatique, n’était pas un handicap mais une énorme richesse, m’aidant à réfléchir, créer, construire et mettre fin à mes projets.
Concrètement parlant, la première étape était pour moi de comprendre et d’accepter cette nature cyclique. La deuxième étape a été de m’observer pendant plusieurs mois et de faire des liens entre mon état physique et psycho-émotionnel et le jour du cycle – le premier jour du cycle étant le premier jour des règles. Ensuite, j’ai appris à adapter ma vie personnelle et professionnelle à mon cycle. Je note dans mon agenda les jours de mon cycle et je sais que certains jours seront plus propices a certains types d’activités ou échanges – j’évite, par exemple, de faire ma comptabilité dans ma phase prémenstruelle ou menstruelle. Ça me prenait deux fois plus de temps et je me sentais trois fois plus frustrée et fatiguée. Je programme moins de cours et de rendez-vous et plus de temps de repos pendant ma phase menstruelle. Je fais plus de travail administratif et si j’ai des nouveaux projets je les démarre généralement pendant ma phase préovulatoire. Ce n’est pas toujours aussi simple, même si je travaille à mon propre compte, mais j’ai aussi appris a lâcher prise parfois, à être plus douce avec moi-même.
Au niveau relationnel cette connaissance de mon cycle m’apporte beaucoup aussi, car j’ai plus conscience de mes besoins. Et plus j’ai conscience de mes besoins, plus j’apprends à les satisfaire moi-même sans créer des attentes de mes proches. Tout n’est pas gagné, loin de là ! C’est un processus. J’ai aussi nourrit en moi un grand amour et du respect envers les femmes en général ce qui m’a poussé à la recherche de moments entre femmes et de sororité. Je participe donc à des cercles de femmes, des moments pour nous, rien que pour nous, où nous pouvons être femmes sans être épouses, mères, filles, chefs d’entreprise et tous ces rôles que nous jouons au quotidien et qui nous épuisent même quand nous les avons choisis et même si nous les aimons de tout notre cœur. Nous avons juste besoin d’une pause parfois, pour rigoler, danser, méditer, créer, pleurer mais surtout pour se sentir écoutées.
Je me souviens d’un jour, il y a deux ans, chez mère à Londres deux semaines après que ma sœur ait accouché. Je demande aux cinq femmes présentes, âgés de 23 à 55 ans, ce que ça veut dire pour elles d’être femme. La réaction me touche – entre la nouvelle maman fatiguée de ses nuits blanches, la femme anéantie par les tromperies de son mari, la femme qui se bat pour payer les études de ses deux enfants seule, la femme qui doit choisir entre sa carrière et sa vie de famille, la première réaction est une longue pause, suivi par ce ‘hhmmmmm’ africain, un son qui manifeste toutes ces souffrances que seule une femme peut comprendre. Chacune y ajoute sa définition, mais il y a un mot que les fais toutes hocher la tête : ‘sacrifice’. Il y a aussi la notion d’injustice, de ne pas être valorisée. Mais ce qui me brise le cœur c’est la résignation ; « c’est comme ça, ça ne peut pas être autrement ». La féministe que je croyais être se serait mise en colère contre elles, les aurait jugées. Mais ces femmes, je les aime maintenant, comme j’ai appris à m’aimer en me connaissant mieux. C’est peut-être ma conception du féminisme qui a changé. Surtout depuis que j’ai découvert les écoféministes : ces femmes et hommes qui œuvrent pour une justice non uniquement pour les femmes, mais pour tous les ‘underdogs’, tous les êtres opprimés. Où peut-être que le fait de devenir FEMME, fertile, créatrice, intuitive, porteuse, destructrice, transformative, capable de manifester, même si je n’ai pas d’enfants, me suffit.