Témoignages

Agnès, femme libre et sauvage

Voyager seul, c’est une chose. Voyager seule en est une autre.

Un violon à vélo (blog)

Mon entêtement, en regard de l’inquiétude parfois obtue des personnes à mon sujet, n’est pas toujours compris. Peu importe. Les projections des peurs de mon entourage sur ma vie ne m’empêcheront pas d’arpenter le monde. A une condition cependant, celle de rester entièrement à l’écoute de mon intuition. Les faux conseils du style « ne pars pas seule, c’est trop dangereux ! » peuvent aller attendre sagement au placard. « Tu n’as pas peur ? » me demande-t-on souvent, ce à quoi je réponds par la négative.

Peur de quoi ?

Contre toute attente, être une femme en voyage apporte souvent beaucoup de facilités, comme si la terre entière et ses occupants, connaissant le danger potentiellement accru que je cours face à la menace humaine, s’étaient mis en tête de m’aider. Car c’est bien de cela dont il est question. Le risque majeur est humain. Certes, la nature peut elle aussi être dangereuse mais je garde en tête de me méfier des Hommes plus que de notre planète. La preuve en est, jusqu’à présent, le seul contre-temps que j’ai eu a été le vol de mon téléphone en Guadeloupe dans une voiture. Que faisais-je dans une voiture me direz-vous ? La question est pertinente. C’est dans la nature que je me sens le mieux, mes sens en parfaite harmonie. J’ai beau être sociable, je peux aussi être sauvage. La société et ceux qui veulent me faire rentrer dans un moule que je rejette n’ont qu’à bien se tenir.

Paradoxalement c’est aussi l’humain qui, plein de bienveillance, m’apporte les plus grandes joies. Les rencontres s’enchaînent et je me nourris, de découvertes culturelles en personnalités si singulières, de rires et de joies, d’amour aussi, et de la générosité offerte humblement au voyageur quel que soit son sexe. Alors mon intériorité s’enrichit, au plus profond de mon être.

Ainsi, c’est mon ressenti qui me fait avancer dans telle ou telle direction, à l’écoute de ce que me dit mon fort intérieur face aux personnes croisées sur ma route. Certaines rencontres durent, comme celle avec ce voyageur dont la route a croisée la mienne et avec qui je voyage depuis maintenant un mois. Jusqu’à quand ? On verra bien. Mais je ne suis finalement que rarement solitaire en voyage, mon quotidien souvent empli de présence humaine. D’autres sont source d’inspiration, comme par exemple cette femme qui navigue seule sur son bateau depuis toujours, loin des carcans de la société. J’apprends beaucoup à ses côtés, tant au niveau de la navigation que de la vie en général.

A l’heure où j’écris ces mots, je suis équipière sur son bateau, en pleine mer des Caraïbes entre Grenade et Curaçao. Je suis face à l’immensité de l’océan, jouissant du spectacle des éléments. Le vent coiffe les vagues de crêtes d’écume blanches et les gonfle d’un bruissement subtil. La lueur du lever de lune transperce les nuages d’un halo argenté et le plancton phosphorescent scintille de milliers de perles lumineuses dans le sillage. Au dessus, les étoiles, suspendues dans l’immensité de l’univers. Le voyage c’est aussi ces moments de félicité et de gratitude infinie envers la nature qui se présente avec toute la force et la beauté dont elle est capable, pour le plus grand plaisir de mes sens émerveillés.

Je suis partie à vélo, faire le tour de la terre aussi écologiquement que possible, et me voilà depuis plusieurs mois à faire de la voile, mon compagnon de route en fond de cale, pour traverser mers et océans. Je suis montée sur plusieurs bateaux mais c’est la première fois que le capitaine est une femme. C’est assez rare dans le monde de la voile, milieu principalement masculin, voire carrément macho. Je ne compte plus le nombre de fois où je ne me suis pas sentie à ma place, et pas seulement à cause du mal de mer récalcitrant pendant la transatlantique. Lors des manœuvres, il faut être rapide, précis et avoir de la force, avoir l’expérience ou tout à la fois ! Est-ce par excès de protection envers les femmes (peut-être justifié) que l’accès au pont m’est souvent interdit, particulièrement de nuit ? Est-ce parce que je suis une femme que je reçois énormément d’aide et de soutien quand je suis à vélo ? Est-ce que si j’étais un homme, je trouverais aussi facilement des transports en stop, que ce soit automobiles ou voiliers ?

Je ne suis pas en vacances, ni en année sabbatique ou voyage d’études. Je vis ma vie de voyages, au gré des saisons, au fil des rencontres, parce que c’est comme ça un point c’est tout. Être une femme ne change rien à la force intérieure qui me fait avancer. Une fois qu’on a goûté à la liberté, il est difficile de s’en passer.

Bien sûr, c’est parfois dur. Quand il faut par exemple, pédaler en ayant les règles avec tous les désagréments qui suivent, du mal de ventre à la grosse fatigue, en passant par l’hygiène pas toujours optimale faute d’accès à l’eau douce. Quand je dois trainer ces quelques 30kg de bagages sur mon vélo surtout dans les côtes alors que mes jambes me supplient d’abandonner, ou que je me force à faire fi des sifflements et commentaires/harcèlements de rue de la gent masculine à mon égard, parce que voyager seule signifie pour eux que je suis non mariée donc disponible… Et j’en passe.

Mais je garde mon cap.

Car toutes ces personnes bienveillantes croisées sur mon chemin, particulièrement ces femmes qui m’inspirent, m’ont permis de trouver en moi la force pour avancer. Je voyage seule. Je suis peut-être inconsciente, folle ou courageuse, mais je suis avant tout femme.

Libre et sauvage.

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