Lucette
« Un combat de tous les jours »
Il faut avoir de la force pour être une femme. Être battante. Combattante. Pour se faire respecter et poursuivre les luttes qui ont été menées. Ne pas rester sur des acquis car le combat quotidien n’est pas terminé.
A l’école, quand un père de famille arrive, en cinq minutes un problème est réglé. Quand c’est une mère célibataire, il faut crier, il faut qu’elle se fasse entendre. C’est moins naturel.
Je suis femme célibataire. Je suis maman à plein temps. Je me suis sentie réduite à ma condition de « fille de » ou « maman de ». Je n’avais pas le temps, pas la place, d’être Femme vraiment.
N’est-ce pas normal que la société nous oublie si nous nous oublions nous-mêmes ?
J’ai ouvert une association pour les femmes célibataires. Pour que l’on se retrouve. J’ai été critiquée. Les institutions m’ont ri au nez.
Il y a quelques années, dans ma commune des Hauts de l’ouest, une association a proposé de monter des groupes de paroles. J’y suis allée tout de suite en affirmant que j’aurais 20 femmes avec moi. Je ne les avais pas, mais je voulais tellement participer. Alors, je suis allée trouver toutes les femmes que je croisais sur la route pour les inviter.
On a pu commencer. On s’est d’abord demandé pourquoi les petites filles jouaient dans la maison avec les mamans et les garçons au vélo dehors ? Pourquoi les petites filles sont cantonnées à jouer à la dinette et à la poupée ? Pourquoi sont-elles cadrées à l’image d’une mère au foyer en devenir alors que les garçons ont le droit de sortir ? Ces petites phrases là…Je m’en souviens comme si c’était hier, même dix ans après. Ça a été un déclic, elles m’ont fait réagir immédiatement. D’autant plus que j’ai trois grands frères et que ça avait toujours été quelque chose que je ne comprenais pas. Pourquoi ils ont le droit de sortir ? Pourquoi moi je suis à l’intérieur avec maman ?
Dans le groupe, au début, la parole ne se libérait pas. L’animatrice a fini par emmener le journal, tous les matins. Et, tout simplement, elle lisait les articles au sujet des femmes mortes sous les coups d’un homme. Là, ça a été une véritable prise de conscience. Après, de nombreuses femmes du groupe sont parties, de peur que leurs couples ne se brisent. Je suis restée, avec d’autres : on a voulu se battre contre cette banalisation de notre condition de femme. Se battre contre ce qui était devenu la norme. Se battre contre la maltraitance.
Notre groupe de parole est devenu théâtre forum. En fonction de ce qu’on témoignait, l’animatrice écrivait des saynètes que nous mettions en scène. Comme il s’agissait de nos histoires, c’était si simple. On jouait toute notre vie. Un an après, nous sommes montées sur scène. C’était la première fois que nous faisions quelque chose pour nous. En tant que femmes. J’ai pu déverser tout ce que j’avais entendu, toute ma vie. Tout ce que j’avais gardé en moi. Pouvoir dire fort, crier, devant tout le monde tout ce que j’avais reçu comme réflexions macho…Une vraie thérapie. Qui fait résonnance chez tellement d’autres femmes. Alors mon but, c’est de faire sortir les femmes des schémas construits, reproduits, naturellement.
J’ai eu de la chance, j’ai fait des études. J’ai été à l’université. J’ai été en France. Ça a été terriblement dur. Alors je suis retournée sur l’île ; déchirée car je ressentais tellement d’étouffement chez moi. Mais j’avais eu cette chance de m’ouvrir à d’autres choses. Autour de moi, mes amies s’étaient arrêtées au collège. Et la logique pour elles, avait été de faire des enfants et de s’occuper du foyer. Moi, j’étais en décalage. Ni ménage. Ni enfants. Je voulais voyager. Je ne voulais pas rester dans cette situation-là. Je marche toujours avec un livre. Sur la psychologie la confiance en soi …Cessez d’être gentil, soyez vrais. Je n’écoute que du rap, du slam…Des textes conscients. Et mes copines me demandent « mais pourquoi tu n’aimes pas danser » ? Moi je ne suis pas là-dedans et ça fait un écart.
J’ai recommencé un BTS et je suis tombée enceinte. Mais je ne voulais pas lâcher mes cours ! Pourtant, ma grossesse s’est mal passée. J’ai dû rester alitée pendant six mois. C’était dur. Le père de ma fille était absent. Je n’avais plus personne autour de moi.
Être mère célibataire, ça m’a complètement ouvert les yeux. C’était : soit je coule, soit je bouge et je me relève. Et avoir un enfant donne une force. Tu ne sais pas où tu trouves cette force. Mais tu la trouves. Tu y vas ! Ça nous donne de la force de porter un enfant. Le lien avec la mère est profond. On a cette responsabilité-là. Tu prends la responsabilité naturellement, dès que tu es enceinte. Et même si tu n’as pas d’enfant, en étant femme, tu portes les autres. C’est tirer les autres vers le haut.
Ce sont mes frères qui m’ont expliqué comment se passait la sexualité. Avec leur vision d’homme.
Je ne voulais pas vivre comme ma mère. Sans parler. Sans sortir. Je ne voulais pas ça pour moi. Et encore moins lorsque je suis devenue mère. Ça m’a coûté mon couple. Je ne peux pas accepter qu’un homme me commande, et non plus dans le monde du travail. Et en faisant du théâtre j’ai rencontré toutes ces histoires de femmes aussi, donc plein de souvenirs sont revenus, ça donne encore plus envie de se battre quand on l’a vécu, on appelle ça les « dommages collatéraux ». Ma fille enfant, je prenais le bus, j’allais jusqu’à Saint Denis pour participer à tous les forums. Je lui disais et lui dis toujours « vois d’autres choses » ! « Vois plus loin que ça » ! « Ouvre-toi au monde ! »
Elle est en troisième maintenant. Je lui parle. Peut-être de trop de choses ? Je suis sensible aux réflexions sexistes et c’est sûr que j’en parle. C’est comme à l’école pour l’inscription au collège. Le responsable légal 1 c’est le père. Le responsable 2 c’est la mère. Je suis arrivée, j’ai dit que je n’étais pas d’accord, puisque le père de ma fille ne s’investit pas dans son éducation. Il y a plein de femmes qui m’ont avoué qu’elles n’avaient jamais remarqué ça et qu’elles remplissaient le formulaire naturellement ! C’est vraiment dommage. Les mamans célibataires, nous faisons papa et maman en même temps. Ma fille a eu une réflexion en moyenne section : la maîtresse, devant tous les parents et les élèves, a dit : « il lui manque une présence paternelle ». Parce qu’elle avait un caractère bien trempé et que selon son institutrice il lui fallait un homme pour la cadrer. Après, à l’école, ils l’ont fait passer toutes les années dans des classes avec des hommes.
Depuis qu’on a regardé un reportage dans lequel on assistait à une césarienne, ma fille veut être sage-femme. Sur la sexualité, elle sait déjà tout. On regarde des films ensemble, je lui ai montré le journal d’Anne Franck, une exposition aussi sur la révolte des esclaves à Saint-Leu, parce que je veux qu’elle sache d’où elle vient. Elle a des filles de son âge qui jouent encore à la poupée. Alors parfois je regrette, parce qu’elle est plus mature que ses camarades. Enfant, à chaque fois qu’on allait quelque part, elle emmenait son globe terrestre et elle demandait : « tu viens d’où ? » Quand j’ai travaillé, la première chose que j’ai faite avec ma paie, c’est prendre un billet d’avion. Je veux qu’elle sorte de ce petit cocon et qu’elle voit plein de choses. Ma fille entre dans les conversations avec les grands, les adultes. Mais à la Réunion ça ne se fait pas. Une femme doit toujours garder une image.
Il faut se faire respecter sans se perdre soi-même. Ça j’essaie de lui faire comprendre, mais je ne sais pas comment faire. Ça passe par les vêtements qu’elle porte. Elle me dit : « j’ai le droit de mettre ce que je veux ! ». Je lui dis, oui, bien sûr tu as le droit, mais en trouvant ce juste milieu en te faisant plaisir toi et en te faisant respecter en face. C’est dur. Et je luis dis, regarde toujours autour de toi ce qu’il se passe. Ne baisse jamais la tête !
Témoignage recueilli par Estelle <3